Bostridge

Brad Mehldau & Ian Bostridge

the folly of desire

 

 

23.03.2023 — 20:00
Bozar, Salle Henry Le Boeuf
Préface

Bienvenue au Klarafestival !

 

Festival van Vlaanderen Brussel, Klara et nos partenaires sont heureux de vous accueillir à nouveau. « I believe audiences aren’t just listening. They are actively contributing », confiait l’artiste du festival, Barbara Hannigan, dans une interview. Un concert, c’est une interaction entre le public, les artistes et tous ceux et celles qui, sur scène ou en coulisses, participent à la magie de ces moments. Ensemble, nous faisons corps avec la musique. Become Music !

 

Cheffe d’orchestre et soprano, Barbara Hannigan est un grand nom de la scène internationale. Avec elle, la musique classique prend la forme d'une expérience moderne à part entière. C'est une source d’inspiration pour le Klarafestival, le plus grand festival radio du pays. Ses multiples talents et ceux de nombreux artistes belges et internationaux, qui relient le passé et le présent par des récits musicaux, vous feront indéniablement vibrer.

 

Le Klarafestival commencera en force avec Hannigan au pupitre et en soliste avec le London Symphony Orchestra. Ensuite, on la verra et entendra avec des jeunes musiciens participant à son projet de mentorat Equilibrium Young Artists. Quelque 25 concerts mettront en avant des ensembles talentueux, tels que Les Talens Lyriques, le City of Birmingham Symphony Orchestra avec Mirga Gražinytė-Tyla et Vilde Frang ou le St. Louis Symphony Orchestra avec Víkingur Ólafsson. Le Klarafestival encourage aussi la création. Le ciné-concert Reich/Richter mêlera les tableaux de Gerhard Richter à la musique de Steve Reich. La surprise sera encore au rendez-vous dans la création Counterforces du compositeur Frederik Croene sur un texte de la poète Dominique de Groen ou dans la production de théâtre musical Prey du metteur en scène Kris Verdonck sur une musique composée par Annelies Van Parys.

 

Ces concerts et tous les autres ne pourraient avoir lieu sans la collaboration de nos partenaires culturels : Bozar, Flagey, Kaaitheater, Théâtre Varia, Muntpunt, Concertgebouw Brugge et De Singel. Nos remerciements vont aussi à nos partenaires privés KPMG, Proximus, Brasserie Omer Vander Ghinste, Belfius, Interparking et les joueurs de la Loterie nationale. Nous sommes reconnaissants du soutien de la Communauté flamande et de la Région de Bruxelles-Capitale. Et enfin, merci à Klara et à la VRT : il n’y aurait pas de festival radio sans leur précieux appui.

 

Joost Fonteyne

Intendant Klarafestival

 

Programme

Brad Mehldau, piano

Ian Bostridge, tenor

 

co-production Klarafestival, Bozar

broadcast on Klara (live)

presentation by Greet Samyn

flowers provided by Daniel Ost

Brad Mehldau (°1970)

The Folly of Desire (2019) 

  • The Sick Rose (William Blake)
  • Leda and the Swan (William Butler Yeats)
  • Sonnet 147 (William Shakespeare)
  • Sonnet 75 (William Shakespeare)
  • Über die Verführung von Engeln (Bertolt Brecht)
  • Ganymed (Johann Wolfgang von Goethe)
  • Ganymede (W.H. Auden)
  • the boys i mean are not refined (e.e. cummings) 
  • Excerpt from Sailing to Byzantium (William Butler Yeats)
  • Night II, from “The Four Zoas”, The Wail of Enion (William Blake) 
  • Lullaby (W.H. Auden)

 

Robert Schumann (1810-1856)
Dichterliebe, op. 48 (1840)

  • Im wunderschönen Monat Mai
  • Aus meinen Tränen spriessen
  • Die Rose, die Lilie, die Taube, die Sonne
  • Wenn ich in deine Augen seh'
  • Ich will meine Seele tauchen
  • Im Rhein, im heiligen Strome
  • Ich grolle nicht, und wenn das Herz auch bricht
  • Und wüßten's die Blumen, die kleinen
  • Das ist ein Flöten und Geigen
  • Hör' ich das Liedchen klingen
  • Ein Jüngling liebt ein Mädchen
  • Am leuchtenden Sommermorgen
  • Ich hab' im Traum geweinet
  • Allnächtlich im Traume seh' ich dich
  • Aus alten Märchen winkt es
  • Die alten, bösen Lieder
Clé d'écoute

Brad Mehldau : un portrait musical 

Playing Changes, l’ouvrage sur le jazz contemporain écrit par le critique de jazz Nate Chinen pour le New York Times, consacre un chapitre entier à Brad Mehldau. Il est intitulé From This Moment On, un clin d’œil au standard de Cole Porter qui figure sur Introducing, le premier album de Mehldau, signé en 1995 chez Warner Bros. La reprise de ce morceau emblématique confirme l’ancrage du pianiste dans la tradition du Great American Songbook et du jazz, mais aussi sa volonté de s’approprier résolument ces traditions, en mêlant techniques personnelles et contemporaines. From This Moment On marque clairement un tournant dans l’histoire du jazz, au point que l’on puisse parler d’un « avant » et d’un « après », tant Mehldau a profondément influencé le genre. 

 

Au début des années 90, la scène jazz est encore largement dominée par les « Young Lions », de jeunes musiciens extrêmement prometteurs qui, dans le sillage du phénoménal succès commercial et critique du trompettiste Wynton Marsalis, s’inscrivent dans le courant néoclassique du jazz. Le saxophoniste alto Christopher Hollyday est l’un des enfants prodiges de cette génération. Alors qu’il n’a que sept mois de plus que Mehldau, il s’occupe de la première session d’enregistrement du jeune pianiste en 1990 et de sa première tournée en Europe en 1991. Le saxophoniste Joshua Redman est plus connu – et sa carrière s’inscrira aussi davantage dans la durée, comme l’avenir le montrera. En 1993, il forme un quartette avec Mehldau, le bassiste Christian McBride et le batteur Brian Blade. Six ans auparavant, Mehldau avait quitté Jacksonville (Floride) – où il est né en 1970 – pour New York, où il s’était installé pour se former auprès de Fred Hersch. Le pianiste de jazz a tôt fait de devenir un sideman très prisé, apprécié du guitariste Peter Bernstein, du saxophoniste alto Jesse Davis et du batteur légendaire de Miles Davis, Jimmy Cobb. Mais il faut attendre MoodSwing de Redman (Warner Bros.) pour que le pianiste sorte définitivement de l’ombre. 

 

Mehldau décide de signer sur ce même label et sort un deuxième album, Introducing Brad Mehldau, qui met clairement en avant la nouvelle voie qu’il a définie pour lui-même et son trio et qui deviendra le pivot de sa créativité au cours de la prochaine décennie. Comme le souligne Chinen, l’album s’ouvre sur un staccato pénétrant, comme si quelqu’un tambourinait à la porte, piaffant d’impatience, pour que celle-ci s’ouvre sur le futur. Ce staccato est l’ouverture d’une variation très particulière sur le « It Might As Well Be Spring » de Rodgers et Hammerstein, un standard du jazz qui faisait déjà partie du répertoire de chanteurs légendaires, comme Sarah Vaughan, Frank Sinatra ou Ella Fitzgerald, et qui avait aussi été immortalisé par des instrumentistes, tels que le pianiste Bill Evans ou le trompettiste Clifford Brown. La mesure 4/4 très régulière – de rigueur dans le jazz – devient ici une mesure 7/8 pénétrante et au rythme instable. Si Mehldau s’inscrit dans la tradition du piano jazz, avec un jeu ancré dans le post-bob, il élabore aussi un nouveau langage idiosyncratique, avec un traitement avant-gardiste du rythme et une étonnante technique pianistique à deux mains qui ne semble lui demander aucun effort. L’harmonie, la complicité dans le jeu qu’il entretient en permanence avec le bassiste Larry Grenadier et le batteur Jorge Rossy (qui sera plus tard remplacé par Jeff Ballard) fait émerger une « conscience commune », différente et plus libre que dans les trios de ses célèbres prédécesseurs, par exemple Bill Evans et Keith Jarrett. 

 

À bien des égards, l’histoire de Mehldau dépasse celle du seul musicien ; elle est aussi celle du défi crucial auquel tout musicien de jazz qui réfléchit à son travail et l’explore en permanence est depuis lors confronté lorsqu’il souhaite faire honneur au langage, à l’histoire, à la tradition, au répertoire et à l’origine de la musique, tout en s’aménageant un espace unique propice à son exploration créatrice. 

 

Les nombreux textes sur les pochettes de ses albums – signés de sa plume et détaillés… compte tenu des normes du genre – montrent à quel point Mehldau était conscient de la relation de l’artiste au passé (les musiciens qui l’ont précédé mais aussi la tradition). Avec l’album Live At the Village Vanguard: The Art of the Trio Volume 2 (1997), il a ainsi livré ses réflexions à propos de l’originalité de l’artiste et de son allégeance au genre et à la tradition.

 

Dans ses livrets, Mehldau cite volontiers des philosophes allemands et fait référence à Michel Foucault, Sigmund Freud ou encore Anthony Burgess. Il rédige de longues réflexions sur Igor Stravinsky et la vacuité émotionnelle de la musique, le Sehnsucht et l’Unheimlichkeit ou le romantisme allemand : il apprécie beaucoup Brahms et Schumann. Autant d’exemples qui vont dans le sens de Nate Chinen lorsqu’il évoque le « sérieux » de la scène jazz contemporaine : le jazz est aujourd’hui l’affaire de musiciens qui ont une véritable réflexion sur leur art, qui recherchent un sens derrière les notes, derrière la forme, derrière le triumvirat mélodie-harmonie-rythme. Le répertoire joué par Mehldau a de quoi étonner ; il n’hésite pas à puiser son inspiration dans la pop et le rock, des genres souvent très éloignés de la tradition du jazz. Il est aussi à l’aise avec les Beatles (un tout nouvel album vient de sortir, Your Mother Should Know: Brad Mehldau Plays The Beatles, Nonesuch Records 2023) qu’avec Radiohead, Rollins, Coltrane, Brahms ou Schumann. 

 

Les improvisations de Mehldau sont en quelque sorte des variations de variations de variations, sans doute très éloignées de leur forme initiale mais toujours éminemment personnelles. Un exemple inspirant pour une armée de jeunes musiciens de jazz en quête à leur tour de sources d’inspiration nouvelles et inédites. 

 

Seymour Reads The Constitution!, le dernier enregistrement du trio, remonte à 2018, ce qui nous ramène donc à la période d’avant le Covid-19. Dès le début du nouveau millénaire, les créations et les projets musicaux de Mehldau commencent à se diversifier, devenant plus hybrides, tandis que l’artiste est véritablement sur tous les fronts. Sur Largo (2001), il intègre par exemple une riche instrumentation dans un paysage sonore dans lequel viennent se greffer des effets électroniques – une production de Jon Brion. Highway Rider (2016) est sa deuxième collaboration avec ce producteur (Kanye West, Fiona Apple, Rufus Wainwright, David Byrne, Elliott Smith). Il élargit encore l’effectif, en intégrant cette fois-ci un ensemble de cordes dans une suite narrative qui doit autant à la pop qu’à la musique classique. Pendant cette période, Mehldau le compositeur commence en outre à accumuler ses lettres de noblesse. En 2010, il a l’honneur d’être le premier jazzman à occuper la Chaire Richard et Barbara Debs au Carnegie Hall, pendant la saison 2010-2011. 

 

Parallèlement, il enchaîne les récitals solo, revisitant, à la manière d’un kaléidoscope, des morceaux de pop et de jazz, mais aussi des pièces de musique classique et ses propres compositions. L’on peut en trouver un bel échantillon dans le coffret 10 Years Solo Live (2015), un recueil d’enregistrements de récitals qu’il a donnés au cours de la décennie précédente en Europe, y compris à Bruxelles. 

 

Mehldau a aussi multiplié les collaborations – au-delà des genres et des frontières – avec des musiciens d’horizons les plus divers. En 2006, il a ainsi composé Love Sublime – un cycle lyrique basé sur des poèmes de Rainer Maria Rilke, Louise Bogan et Fleurine – pour la soprano classique Renée Fleming. En 2010, il réitère l’expérience avec Love Songs, un cycle sur des poèmes de Sara Teasdale, Philip Larkin et e.e. cummings qu’il a composé pour la mezzosoprano suédoise Anne Sofie von Otter, à la demande du Carnegie Hall.

 

Citons encore un album en duo inclassable, Taming the Dragon (2014) – un mesclun synth-and-drums avec Mark Guiliana, un des rois de la batterie –, ou le superbe album qu’il a enregistré en 2017 avec le joueur de mandoline Chris Thile. 

 

Trilogie Brad Mehldau au Klarafestival 

À l’occasion de sa résidence au Klarafestival, Brad Mehldau fera découvrir plusieurs de ses facettes. Le 23 mars, le public pourra l’apprécier en duo, avec le ténor Ian Bostridge. Le 24 mars, il interprétera pour la première fois en Belgique son Concerto pour piano, accompagné du Belgian National Orchestra. Le lendemain, il fera provisoirement ses adieux au public dans l’intimité d’un récital de piano. 

 

Il y a quelques années, à l’issue de leurs prestations respectives au Schloss Elmau, en Allemagne, Mehldau et le ténor Ian Bostridge avaient échangé autour de leur passion commune pour la musique de Robert Schumann. C’est ainsi qu’est née une amitié qu’ils célèbrent dans cette collaboration. Dichterliebe, le célèbre cycle de lieder de Schumann qu’ils interpréteront ensemble, a inspiré à Mehldau The Folly of Desire, elle aussi au programme de la soirée. Ce nouveau cycle a été spécialement écrit pour Bostridge. Le compositeur a puisé dans la poésie de Shakespeare, W.H. Auden, e.e. cummings, Yeats, Goethe et Blake, explorant des thèmes tels que l’amour, les désirs primitifs, la concupiscence et le viol. « An inquiry into the limits of post-#MeToo Romantic irony », selon les termes mêmes du compositeur. 

 

Mehldau a déjà joué son Concerto pour piano dans les salles les plus prestigieuses au monde, comme la Philharmonie de Paris ou le Barbican à Londres. Ce concerto de trente-cinq minutes plonge l’auditeur dans un univers sonore d’une incroyable opulence. Dans cette composition, Mehldau réussit à intégrer des parties improvisées dans l’architecture d’un concert classique. L’œuvre et son interprétation lui ont valu une standing ovation d’une minute au Barbican Centre de Londres.

 

Mehldau clôture sa résidence au Klarafestival sur un récital de piano solo qui lui permet une nouvelle fois de démontrer que le chapitre qu’il écrit dans le Grand Livre de la musique est un récit où abondent les brusques revirements de situation comme les moments d’indescriptible beauté. 

 

Frederik Goossens

 

Biographies

Ian Bostridge

Le ténor britannique Ian Bostridge a fait ses débuts à l'opéra en 1994 dans le rôle de Lysander (A Midsummer Night's Dream, Britten) au Festival d'Edimbourg. Depuis, il a remporté des succès dans les rôles d'Aschenbach/ Death in Venice, Tom Rakewell/ The Rake's Progress et Jupiter/ Semele dans de grandes maisons comme l'Opéra national de Paris, le Bayerische et le Wiener Staatsoper. En tant qu’interprète de lieder, Ian Bostridge a été invité sur les scènes internationales les plus prestigieuses et aux festivals de Salzbourg, Munich, Vienne, Aldeburgh, Édimbourg et Saint-Pétersbourg.

 

Brad Mehldau

Brad Mehldau est un paniste au style unique qui fonde son jeu sur ses surprenantes capacités d'improvisation et sa maîtrise technique. De plus, il parvient à fusionner le jazz, le classique et la pop en un style hors du commun. Il a collaboré avec des musiciens aussi divers que Pat Metheny, Renée Fleming et Joshua Redman, et a réalisé de brillants arrangements de chansons de Paul Simon, Cole Porter et des Beatles. Il joue ses propres compositions dans le monde entier, en solo, en trio (avec le bassiste Larry Grenadier et le batteur Jorge Rossy) et avec orchestre.

 

 

Paroles

Brad Mehldau
The Folly of Desire (2019) 

 

THE SICK ROSE

William Blake

O Rose thou art sick.

The invisible worm,

That flies in the night

In the howling storm:

Has found out thy bed

Of crimson joy:

And his dark secret love

Does thy life destroy.

 

[FR]

LA ROSE MALADE

William Blake

Ô Rose, tu es malade.

L’invisible ver

Qui vole de nuit

Dans la tempête hurlante,

A trouvé où est ton lit

De joie cramoisie ;

C’est son noir amour secret

Qui détruit ta vie.

 

LEDA AND THE SWAN

William Butler Yeats

A sudden blow: the great wings beating still

Above the staggering girl, her thighs caressed

By the dark webs, her nape caught in his bill,

He holds her helpless breast upon his breast.

How can those terrified vague fingers push

The feathered glory from her loosening thighs?

And how can body, laid in that white rush,

But feel the strange heart beating where it lies?

A shudder in the loins engenders there

The broken wall, the burning roof and tower

And Agamemnon dead.

Being so caught up,

So mastered by the brute blood of the air,

Did she put on his knowledge with his power

Before the indifferent beak could let her drop?

 

[FR]

LEDA ET LE CYGNE

William Butler Yeats

Une soudaine chute : les grandes ailes battantes encore

Au-dessus de la vierge stupéfaite, ses cuisses caressées

Par les palmures sombres, sa nuque prise dans son bec,

Il la détient impuissante poitrine contre poitrine.

Comment ces doigts confus et terrifiés pourraient-ils pousser

La gloire de plumes de ses cuisses relâchées ?

Et comment un corps peut-il, posé dans cet assaut blanc,

Ne pas sentir le battement de ce cœur étrange là où il se trouve ?

Un frisson dans les reins engendre

Le mur brisé, le toit et la tour dans les flammes

Et Agamemnon mort.

Être ainsi immobilisée,

Ainsi maîtrisée par ce sang brutal venu des airs,

A-t-elle mis son savoir au service de sa puissance

Avant que le bec indifférent ne la laisse retomber ?

 

SONNET 147

William Shakespeare

My love is as a fever, longing still

For that which longer nurseth the disease,

Feeding on that which doth preserve the ill,

The uncertain sickly appetite to please.

My reason, the physician to my love,

Angry that his prescriptions are not kept

Hath left me, and I desperate now approve,

Desire is death, which physic did except.

Past cure I am, now reason is past care,

And frantic-mad with evermore unrest,

My thoughts and my discourse as madmen’s are,

At random from the truth vainly express’d.

For I have sworn thee fair and thought thee bright,

Who art as black as hell, as dark as night.

 

[FR]

SONNET 147

William Shakespeare

Mon amour est comme une fièvre

toujours altérée de ce qui l’alimente incessamment :

il se nourrit de ce qui perpétue sa souffrance

pour satisfaire son appétit troublé et morbide.

Ma raison, médecin de mon amour,

fâchée de ce que ses prescriptions ne sont pas suivies,

m’a abandonné, et moi, désormais désespéré,

je reconnais que l’affection que combattait la science est mortelle.

Ma raison étant impuissante, je suis désormais incurable,

et je délire frénétiquement dans une incessante agitation.

Mes pensées et mes paroles sont, comme celles des fous,

de vaines et fausses divagations.

Car j’ai juré que tu es blanche et cru que tu es radieuse,

toi qui es noire comme l’enfer et ténébreuse comme la nuit.

 

SONNET 75

William Shakespeare

So are you to my thoughts as food to life,

Or as sweet-season’d showers are to the ground;

And for the peace of you I hold such strife,

As ‘twixt a miser and his wealth is found.

Now proud as an enjoyer and anon

Doubting the filching age will steal his treasure,

Now counting best to be with you alone,

Then better’d that the world may see my pleasure,

Sometime all full with feasting on your sight,

And by and by clean starved for a look,

Possessing or pursuing no delight

Save what is had or must from you be took.

Thus do I pine and surfeit day by day,

Or gluttoning on all, or all away.

 

[FR]

SONNET 75

William Shakespeare

Ainsi, vous êtes pour ma pensée ce qu’est la nourriture pour la vie,

ou la pluie bien distribuée pour la terre ;

et je me débats pour la pacifique possession de vous-même

comme un avare avec ses richesses :

Tantôt ayant la fierté de la jouissance,

et tantôt ayant peur que le monde fripon ne vole mon trésor ;

aimant mieux parfois être avec vous seul,

parfois préférant que l’univers puisse voir mon bonheur ;

Tantôt tout enivré de votre vue, tantôt tout affamé d’un regard ;

ne possédant ou ne cherchant d’autres joies

que celles que je tiens ou dois recevoir de vous.

Gardez ce que vous avez ou ce que vous devez prendre.

Ainsi je suis tour à tour languissant ou rassasié,

ou dévorant tout, ou privé de tout.

 

ÜBER DIE VERFÜHRUNG VON ENGELN

Bertold Brecht

Engel verführt man gar nicht oder schnell.

Verzieh ihn einfach in den Hauseingang

Steck ihm die Zunge in den Mund und lang

Ihm untern Rock, bis er sich naß macht, stell

Ihm das Gesicht zur Wand, heb ihm den Rock

Und fick ihn. Stöhnt er irgendwie beklommen

Dann halt ihn fest und laß ihn zweimal kommen

Sonst hat er dir am Ende einen Schock.

Ermahn ihn, dass er gut den Hintern schwenkt

Heiß ihn dir ruhig an die Hoden fassen

Sag ihm, er darf sich furchtlos fallen lassen

Dieweil er zwischen Erd und Himmel hängt –

Doch schau ihm nicht beim Ficken ins Gesicht

Und seine Flügel, Mensch, zerdrück sie nicht.

 

[FR]

DE LA SÉDUCTION DES ANGES

Bertold Brecht

Un ange ne se séduit pas, encore moins rapidement.

Attire-le simplement dans l’entrée,

Mets-lui la langue dans la bouche et passe

Sous sa robe jusqu’à ce qu’il mouille, colle-lui

La tête au mur, soulève sa robe

Et baise-le. S’il gémit d’une manière ou d’une autre,

Tiens-le bien et fais-le venir par deux fois

Sinon il terminera par un choc. 

Rappelle-le à l’ordre, qu’il balance bien les fesses

Qu’il sache qu’il peut te prendre les burettes.

Dis-lui qu’il peut se laisser tomber sans crainte

Tandis qu’il pend entre la terre et le ciel –

Mais ne le regarde pas en face en le baisant

Et, par pitié, ne lui écrase pas les ailes.

 

GANYMED 

Johann Wolfgang von Goethe

Wie im Morgenglanze

Du rings mich anglühst

Frühling, Geliebter!

Mit tausendfacher Liebeswonne

Sich an mein Herz drängt

Deiner ewigen Wärme

Heilig Gefühl,

Unendliche Schöne!

Daß ich dich fassen möchte’

In diesen Arm!

Ach, an deinem Busen

Lieg’ ich, schmachte,

Und deine Blumen, dein Gras

Drängen sich an mein Herz.

Du kühlst den brennenden

Durst meines Busens,

Lieblicher Morgenwind!

Ruft drein die Nacthigall

Liebend nach mir aus dem Nebeltal.

Ich komm’, ich komme!

Wohin? Ach, wohin?

Hinauf! Hinauf strebt’s.

Es schweben die Wolken

Abwärts, die Wolken

Neigen sich der sehnenden Liebe.

Mir! Mir!

In eurem Schosse

Aufwärts!

Umfangend umfangen!

Aufwärts an deinen Busen,

Alliebender Vater!

 

[FR]

GANYMEDE 

Johann Wolfgang von Goethe

Dans l’éclat du matin

De quels feux tu m’entoures,

Printemps, mon Bien-aimé !

En un afflux d’amoureuses ivresses,

Se presse vers mon cœur

Le sentiment sacré

De ton ardeur éternelle,

Beauté infinie !

Que ne puis-je t’étreindre

De ces bras !

Ah ! sur ton sein je suis

Étendu, je languis

Et tes fleurs et ton herbe

Se pressent sur mon cœur.

Tu viens calmer la soif

Ardente de mon être,

Brise exquise de l’aube,

Où vers moi le rossignol jette

Son cri d’amour, hors des brumes du val.

Me voici, me voici !

Mais où aller, mais où ?

Là-haut, être enlevé là-haut !

Les nuages flottants

S’abaissent, les nuages

S’inclinent vers l’amour soulevé de désir.

Vers moi, vers moi !

Et que, blotti en vous,

Je monte !

Enlaçant, enlacé !

Et que j’aille, en montant, me serrer contre toi,

Père, universel amour

 

GANYMEDE

W.H. Auden

He looked in all His wisdom from the throne

Down on that humble boy who kept the sheep,

And sent a dove; the dove returned alone:

Youth liked the music, but soon fell asleep.

But He had planned such future for the youth:

Surely, His duty now was to compel.

For later he would come to love the truth,

And own his gratitude. His eagle fell.

It did not work. His conversation bored

The boy who yawned and whistled and made faces,

And wriggled free from fatherly embraces;

But with the eagle he was always willing

To go where it suggested, and adored

And learnt from it so many ways of killing

 

[FR]

GANYMEDE

W.H. Auden

Depuis son trône, Il observait dans toute sa sagesse

L’humble garçon qui gardait les brebis,

Et envoya une colombe ; la colombe revint seule :

L’enfant aima la musique, mais tomba vite endormi.

Pourtant Il avait prévu ce futur pour l’enfant :

Mais Il devait maintenant l’y contraindre.

Car plus tard, il lui faudrait aimer la vérité,

Et l’en gratifiait. Son aigle tomba.

Cela fut en vain. Sa conversation ennuya

Le garçon, qui bâilla, siffla, fit des grimaces

Et se dégagea de l’étroite tutelle ;

Mais de l’aigle il souhaitait toujours

Suivre la voie qu’il suggérait, et adorait

Et apprenait par lui tant de façons de tuer

 

THE BOYS I MEAN ARE NOT REFINED

e.e. cummings

the boys i mean are not refined

they go with girls who buck and bite

they do not give a fuck for luck

they hump them thirteen times a night

one hangs a hat upon her tit

one carves a cross on her behind

they do not give a shit for wit

the boys i mean are not refined

they come with girls who bite and buck

who cannot read and cannot write

who laugh like they would fall apart

and masturbate with dynamite

the boys i mean are not refined

they cannot chat of that and this

they do not give a fart for art

they kill like you would take a piss

they speak whatever’s on their mind

they do whatever’s in their pants

the boys i mean are not refined

they shake the mountains when they dance

 

[FR]

LES GARS DONT JE PARLE NE SONT PAS TRÈS FINS

e.e. cummings

les gars dont je parle ne sont pas très fins

ils sortent avec de vraies furies

ils se foutent des conséquences

ils les fourrent treize fois par nuit

l’un pend son chapeau à un sein

l’autre grave une croix sur un derrière

Ils se foutent de ce qu’on imagine

les gars dont je parle ne sont pas très fins

ils jouissent avec de vraies furies

qui savent pas lire et pas écrire

qui se tordent par terre de rire

et se masturbent à l’explosif

les gars dont je parle ne sont pas très fins

ils discutent de pas grand-chose

ils se foutent de prendre la pose

ils tuent comme toi tu vas pisser

ils disent à trac ce qu’ils pensent

ils sont menés par la culotte

les gars dont je parle sont pas très fins

ils secouent les montagnes quand ils dansent

 

EXCERPT FROM SAILING TO BYZANTIUM

William Butler Yeats

III

O sages standing in God’s holy fire

As in the gold mosaic of a wall,

Come from the holy fire, perne in a gyre,

And be the singing masters of my soul.

Consume my heart away; sick with desire

It knows not what it is; and gather me

Into the artifice of eternity.

 

[FR]

EXTRAIT DE LA TRAVERSÉE VERS BYZANCE

William Butler Yeats

III

Ô sages qui vous tenez dans le feu sacré du Seigneur

Comme dans la mosaïque dorée d’une enceinte,

Sortez du feu sacré, entrez dans la spirale

Et soyez les maîtres chantant de mon âme.

Consumez tout mon cœur ; malade de désir

Qui ne sait qui je suis ; et m’emporte

Dans l’artifice de l’éternité.

 

NIGHT II, FROM “THE FOUR ZOAS”

(THE WAIL OF ENION)

William Blake

I am made to sow the thistle for wheat; the nettle for a nourishing dainty

I have planted a false oath in the earth, it has brought forth a Poison Tree

I have chosen the serpent for a counsellor and the dog

For a schoolmaster to my children

I have blotted out from light and living the dove and nightingale

And I have caused the earthworm to beg from door to door

I have taught the thief a secret path into the house of the just

I have taught pale Artifice to spread his nets upon the morning

My heavens are brass, my earth is iron, my moon a clod of clay

My sun a pestilence burning at noon, and a vapour of death in night.

What is the price of Experience? Do men buy it for a song

Or Wisdom for a dance in the street? No – it is bought with the price

Of all that a man hath – his house, his wife, his children.

Wisdom is sold in the desolate market where none come to buy

And in the wither’d field where the farmer ploughs for bread in vain


[FR]

NUIT II, DE « LES QUATRE ZOAS »

(LES PLEURS D’ENION)

William Blake

Je suis fait pour semer le chardon sur le blé, l’ortie sur une friandise nourrissante

J’ai planté un faux serment dans la terre, il a produit un Arbre empoisonné

J’ai choisi le serpent comme conseiller et le chien

Comme maître d’école de mes enfants

J’ai effacé la colombe et le rossignol de la lumière et de la vie

Et j’ai fait du ver de terre un mendiant allant de porte à porte

J’ai montré au voleur le chemin secret qui mène dans la maison du juste

J’ai appris au pâle Artifice à étendre ses filets sur le matin

Mon ciel est de cuivre, ma terre est de fer, ma lune est une motte d’argile

Mon soleil une pestilence brûlant aux rigueurs de midi, et une vapeur fatale dans la nuit.

Quel est le prix de l’Expérience ? L’achète-t-on contre un refrain

Ou la Sagesse contre une farandole ? Non – on l’achète au prix

De tout ce qu’un homme possède – maison, femme, enfants.

La Sagesse se vend sur le marché désert où personne ne vient rien acheter.

Et dans le champ en friche où le fermier laboure en vain sa pitance.

 

LULLABY W.H. Auden

Lay your sleeping head, my love,

Human on my faithless arm:

Time and fevers burn away 

Individual beauty from

Thoughtful children, and the grave

Proves the child ephemeral:

But in my arms till break of day

Let the living creature lie,

Mortal, guilty, but to me

The entirely beautiful.

Soul and body have no bounds:

To lovers as they lie upon

Her tolerant enchanted slope

In their ordinary swoon,

Grave the vision Venus sends

Of supernatural sympathy,

Universal love and hope

While an abstract insight wakes

Among the glaciers and the rocks

The hermit’s carnal ecstasy

 

Certainty, fidelity

On the stroke of midnight pass

Like vibrations of a bell

And fashionable madmen raise

Their pedantic boring cry:

Every farthing of the cost.

All the dreaded cards foretell.

Shall be paid, but from this night

Not a whisper, not a thought.

Not a kiss nor look be lost.

Beauty, midnight, vision dies:

Let the winds of dawn that blow

Softly round your dreaming head

Such a day of welcome show

Eye and knocking heart may bless,

Find our mortal world enough;

Noons of dryness find you fed

By the involuntary powers,

Nights of insult let you pass

Watched by every human love.

 

[FR]

LULLABY W.H. Auden

Ose ta tête endormie, mon amour

Humaine sur mon bras infidèle ;

Le temps et les fièvres consument 

La part de beauté

Des enfants pensifs et la tombe

Prouve que l’enfant est éphémère ;

Mais que dans mes bras jusqu’au point du jour

Repose cet être vivant,

Mortel, coupable, mais pour moi

Beauté absolue.

L’âme et le corps n’ont point de bornes ;

Aux amants étendus

Dans leur pâmoison coutumière

Sur la pente enchantée de son indulgence 

Vénus gravement apporte la vision

D’une compassion surnaturelle,

Un amour, un espoir universels ;

Tandis qu’une intuition abstraite éveille

Parmi les glaciers et les rocs

L’extase sensuelle de l’ermite.

 

Certitude, fidélité

Sur le coup de minuit passent

Comme les vibrations d’une cloche,

Et les fous à la mode poussent

Leurs cris ennuyeux de pédants ;

Chaque centime de la dépense,

Tout ce que prédisent les cartes redoutées

Sera payé, mais de cette nuit

Que pas un murmure, pas une pensée

Pas un baiser ni un regard ne soient perdus.

Tout meurt, la beauté, la vision, minuit :

Que les vents de l’aube qui demeurent

Soufflent sur ta tête rêveuse

Annonçant un jour d’une telle douceur

Que les yeux et le cœur qui cogne puissent louer

Ce monde mortel et s’en satisfaire ;

Que les midis de sécheresse te voient nourri

Par les puissances irréfléchies,

Que les nuits d’insulte te laissent vivre

Sous la garde de tout amour humain.

 


 

Robert Schumann

Dichterliebe (Heinrich Heine*)

 

1.

Im wunderschönen Monat Mai,

Als alle Knospen sprangen,

Da ist in meinem Herzen

Die Liebe aufgegangen.

 

Im wunderschönen Monat Mai,

Als alle Vögel sangen,

Da hab' ich ihr gestanden

Mein Sehnen und Verlangen.

 

[FR]

1.

Au mois de mai, quand la lumière
Voyait tous les bourgeons s’ouvrir,
L’amour, en sa douceur première,
Dans mon cœur s’est mis à fleurir.

Au mois de mai, sous la rainée.
Tous les oiseaux chantaient en chœur
Quand j’ai dit à la bien-aimée
Le tendre secret de mon cœur.

 

2.

Aus meinen Tränen sprießen

Viel blühende Blumen hervor,

Und meine Seufzer werden

Ein Nachtigallenchor.

 

Und wenn du mich lieb hast, Kindchen,

Schenk' ich dir die Blumen all',

Und vor deinem Fenster soll klingen

Das Lied der Nachtigall.

 

[FR]

2.

De mes larmes s’épanouissent
Des fleurs en bouquets radieux,
Et de tous mes soupirs surgissent
Des rossignols mélodieux.

D’amour que ton cœur se pénètre,
Les fleurs à tes pieds tomberont,
Et, jour et nuit, à ta fenêtre,
Mes doux rossignols chanteront.

 

3.

Die Rose, die Lilie, die Taube, die Sonne,

Die liebt' ich einst alle in Liebeswonne.

Ich lieb' sie nicht mehr, ich liebe alleine

Die Kleine, die Feine, die Reine, die Eine;

Sie selber, aller Liebe Wonne,

Ist Rose und Lilie und Taube und Sonne.

Ich liebe alleine

Die Kleine, die Feine, die Reine, die Eine.


[FR]

3.

Autrefois lis et rose, et colombe et soleil,
Je les ai tous aimés d’un amour sans pareil.
À présent de mon cœur qui changea de tendresse,
Ma mignonne si douce est l’unique maîtresse ;
Elle-même est pour moi source pure d’amour,
La colombe et la rose, et le lis et le jour.

 

4.

Wenn ich in deine Augen seh',

So schwindet all' mein Leid und Weh;

Doch wenn ich küsse deinen Mund,

So werd' ich ganz und gar gesund.

 

Wenn ich mich lehn' an deine Brust,

Kommt's über mich wie Himmelslust;

Doch wenn du sprichst: ich liebe dich!

So muß ich weinen bitterlich.


[FR]

4.

À tes yeux si beaux quand mes yeux s’unissent,
Tous mes chagrins s’évanouissent ;
D’un baiser ta bouche, au rire enchanté,
Me rend la joie et la santé.

 

Sur mon cœur brûlant quand mon bras te presse,
Du paradis je sers l’ivresse ;
Mais quand tu me dis ; je t’aime ardemment,
— Je pleure, hélas ! amèrement.

 

5.

Ich will meine Seele tauchen

In den Kelch der Lilie hinein;

Die Lilie soll klingend hauchen 

Ein Lied von der Liebsten mein.

 

Das Lied soll schauern und beben

Wie der Kuß von ihrem Mund,

Den sie mir einst gegeben

In wunderbar süßer Stund'.

 

[FR]

5.

Dans le lis le plus pur mon âme,
Ivre de bonheur, plongera ;
Soudain la fleur exhalera
Un chant à l’honneur de ma dame.

Je veux qu’il vibre, énamouré
En doux frissons, comme une lyre.
Pareil au baiser, qu’en délire
De ses lèvres j’ai savouré.

 

6.

Im Rhein, im heiligen Strome,

Da spiegelt sich in den Well'n

Mit seinem großen Dome,

Das große, heilige Köln.

 

Im Dom da steht ein Bildnis,

Auf goldenem Leder gemalt;

In meines Lebens Wildnis

Hat's freundlich hineingestrahlt.

 

Es schweben Blumen und Eng'lein

Um unsre liebe Frau;

Die Augen, die Lippen, die Wänglein,

Die gleichen der Liebsten genau.

 

[FR]

6.

À Cologne, la ville sainte,
La cathédrale au front serein
Reflète sa gothique enceinte
Aux flots majestueux du Rhin.

 

Dans le temple on garde une image,
Sur cuir doré; — j’ai vu toujours
Rayonner ce charmant visage.
Dans le désert où vont mes jours.

 

Entre des fleurs, parmi des anges,
C’est Notre-Dame; — trait pour trait,
Bouche, regard charmes étranges,
De ma belle c’est le portrait.

 

7.

Ich grolle nicht, und wenn das Herz auch bricht,

Ewig verlor'nes Lieb! Ich grolle nicht.

Wie du auch strahlst in Diamantenpracht,

Es fällt kein Strahl in deines Herzens Nacht.

Das weiß ich längst.

 

Ich grolle nicht, und wenn das Herz auch bricht.

Ich sah dich ja im Traume,

Und sah die Nacht in deines Herzens Raume,

Und sah die Schlang', die dir am Herzen frißt,

Ich sah, mein Lieb, wie sehr du elend bist.

Ich grolle nicht.

 

[FR]

7.

J’ai pardonné, mon cœur dût-il se briser,
Ô mon aimée à jamais perdue,
J’ai pardonné, j’ai pardonné.
Tu rayonnes dans l’éclat de tes diamants mais
Nul rayon n’en tombe dans la nuit de ton cœur

 

Je ne le sais que trop.
Ne t’ai-je pas vue en rêve ?
J’ai vu la nuit qui remplit ton âme,
J’ai vu le serpent qui te ronge le cœur,
J’ai vu, mon cher amour, ta détresse infinie.

 

8.

Und wüßten's die Blumen, die kleinen,

Wie tief verwundet mein Herz,

Sie würden mit mir weinen,

Zu heilen meinen Schmerz.

 

Und wüßten's die Nachtigallen,

Wie ich so traurig und krank,

Sie ließen fröhlich erschallen

Erquickenden Gesang.

 

Und wüßten sie mein Wehe,

Die goldenen Sternelein,

Sie kämen aus ihrer Höhe,

Und sprächen Trost mir ein.

 

Sie alle können's nicht wissen,

Nur Eine kennt meinen Schmerz;

Sie hat ja selbst zerrissen,

Zerrissen mir das Herz.

 

[FR]

8.

Si les petites fleurs
Connaissaient mes alarmes,
Pour guérir mes douleurs,
Chacune avec mes pleurs
Voudrait mêler ses larmes.

 

Si les rossignolets
Savaient quel mal m’oppresse,
Ces charmants oiselets,
De leurs plus doux couplets,
Berceraient ma détresse.

 

Les étoiles aussi,
Regardant ma misère,
Sur mon affreux souci,
Aussitôt radouci,
Verseraient leur lumière.

 

Mais de sa cruauté
Nul ne sait la torture,
Excepté la Beauté
Dont la main m’a porté
L’incurable blessure.

 

9.

Das ist ein Flöten und Geigen,

Trompeten schmettern darein;

Da tanzt wohl den Hochzeitsreigen

Die Herzallerliebste mein.

 

Das ist ein Klingen und Dröhnen,

Ein Pauken und ein Schalmei'n;

Dazwischen schluchzen und stöhnen

Die lieblichen Engelein.

 

[FR]

9.

De ma belle aujourd’hui c’est la noce; – on entend
Le bal triomphant qui commence;
Elle y danse, folâtre, et l’orchestre éclatant
Excite sa valse en démence.

 

Et cymbales, clairons, langoureux violons.
Et fifres moqueurs qui sifflotent,
A travers leurs doux sons emplissant les salons
Les bons petits anges sanglotent.

 

10.

Hör' ich das Liedchen klingen,

Das einst die Liebste sang,

So will mir die Brust zerspringen

Von wildem Schmerzendrang.

 

Es treibt mich ein dunkles Sehnen

Hinauf zur Waldeshöh',

Dort löst sich auf in Tränen

Mein übergroßes Weh'.

 

[FR]

10.

Quand j’entends cet air qu’autrefois
Chantait sa bouche purpurine,
Je tremble, et mon cœur aux abois
S’agite à briser ma poitrine.

 

Vers l’âpre cime des forêts
Je cours, poussé par ma détresse;
Là, j’exhale en des pleurs secrets
L’immense chagrin qui m’oppresse.

 

 

11.

Ein Jüngling liebt ein Mädchen,

Die hat einen andern erwählt;

Der andre liebt eine andre,

Und hat sich mit dieser vermählt.

 

Das Mädchen nimmt aus Ärger

Den ersten besten Mann,

Der ihr in den Weg gelaufen;

Der Jüngling ist übel dran.

 

Es ist eine alte Geschichte,

Doch bleibt sie immer neu;

Und wem sie just passieret,

Dem bricht das Herz entzwei.

 

[FR]

11.

Un jeune homme adore une belle
Dont le cœur d’un autre s’éprit ;
L’autre d’une autre demoiselle
S’éprend et devient son mari.

 

Alors la première, jalouse,
En son dépit, se jette au cou
Du premier venu, qu’elle épouse ;
Le jeune homme en pâtit beaucoup.

 

Ancienne histoire, toujours neuve,
On n’en est point scandalisé ; –
Mais quiconque en subit l’épreuve,
N’en revient que le cœur brisé.

 

 

12.

Am leuchtenden Sommermorgen

Geh' ich im Garten herum.

Es flüstern und sprechen die Blumen,

Ich aber wandle stumm.

 

Es flüstern und sprechen die Blumen,

Und schaun mitleidig mich an:

Sei unsrer Schwester nicht böse,

Du trauriger blasser Mann.

 

[FR]

12.

Par un matin d’été splendide,
J’errais tout seul dans le jardin;
Les jeunes fleurs, groupe candide,
Causaient tout bas de mon chagrin.

 

— À notre sœur ; me dit chacune,
Avec un regard douloureux,
Cesse donc de garder rancune,
Lamentable et pâle amoureux ! —

 

 

13.

Ich hab' im Traum geweinet,

Mir träumte, du lägest im Grab.

Ich wachte auf, und die Träne

Floß noch von der Wange herab.

 

Ich hab' im Traum geweinet,

Mir träumt', du verließest mich.

Ich wachte auf, und ich weinte

Noch lange bitterlich.

 

Ich hab' im Traum geweinet,

Mir träumte, du wär'st mir noch gut.

Ich wachte auf, und noch immer

Strömt meine Tränenflut.

 

[FR]

13.

En pleurant j’ai rêvé, ma belle,
Que la mort éteignait tes jours;–
Quand cette vision cruelle
Disparut, je pleurais toujours.

 

En pleurant j’ai rêvé, ma chère,
Que tu trahissais nos amours ; —
Quand l’aube éveilla ma paupière,
Mes pleurs amers coulaient toujours.

 

J’ai rêvé que ta vie entière
Me gardait un cœur sans détours ; —
Mes yeux revoyant la lumière
Pleuraient, pleuraient, pleuraient toujours.

 

 

14.

Allnächtlich im Traume seh' ich dich,

Und sehe dich freundlich grüßen,

Und laut aufweinend stürz ich mich

Zu deinen süßen Füßen.

 

Du siehest mich an wehmütiglich

Und schüttelst das blonde Köpfchen;

Aus deinen Augen schleichen sich

Die Perlentränentröpfchen.

 

Du sagst mir heimlich ein leises Wort

Und gibst mir den Strauß von Cypressen.

Ich wache auf, und der Strauß ist fort,

Und's Wort hab' ich vergessen.

 

[FR]

14.

Chaque nuit je revois tes charmes
Dans un rêve où tu me souris;
Je tombe à genoux, et mes larmes
Vont arroser tes pieds chéris.

 

Les yeux en pleurs, dans les ténèbres
Secouant l’or de tes cheveux
Tu me tends des bouquets funèbres
Que saisissent mes doigts nerveux.

 

Tu me dis tout bas à l’oreille
Un mot magique; — ouvrant les yeux,
Je cherche en vain, quand je m’éveille,
Cyprès et mot mystérieux.

 

 

15.

Aus alten Märchen winkt es

Hervor mit weißer Hand,

Da singt es und da klingt es

Von einem Zauberland;

 

Wo bunte Blumen Blühen

Im gold'nen Abendlicht,

Und lieblich duftend glühen,

Mit bräutlichem Gesicht;

 

[Und grüne Bäume singen

Uralte Melodei'n,

Die Lüfte heimlich klingen,

Und Vögel schmettern drein;

 

Und Nebelbilder steigen

Wohl aus der Erd' hervor,

Und tanzen luft'gen Reigen

Im wunderlichen Chor;

 

Und blaue Funken brennen

An jedem Blatt und Reis,

Und rote Lichter rennen

Im irren, wirren Kreis;

 

Und laute Quellen brechen

Aus wildem Marmorstein.

Und seltsam in den Bächen

Strahlt fort der Widerschein.]

 

Ach, könnt' ich dorthin kommen,

Und dort mein Herz erfreu'n,

Und aller Qual entnommen,

Und frei und selig sein!

 

Ach! jenes Land der Wonne,

Das seh' ich oft im Traum,

Doch kommt die Morgensonne,

Zerfließt's wie eitel Schaum.

 

 

[FR]

15.

Des anciens contes, me fait signe

Une blanche main,

Des chants et des mélodies s'élèvent

D'un pays enchanté ;

 

Là des fleurs multicolores s'épanouissent

Dans la lumière dorée du soir,

Et resplendissent, odorantes et charmantes

Avec leur visage de fiancée ;

 

Et les arbres verts chantent

Des mélodies immémoriales,

Les zéphirs furtifs bruissent,

Et les oiseaux y volettent ;

 

Et des images nébuleuses s'élèvent,

Émergeant de la terre,

Et dansent une ronde aérienne

Sur un chœur fantasque ;

 

Et des étincelles bleues scintillent

Sur chaque feuille et chaque rameau,

Et des lumières rouges courent

En cercles fous et confus ;

 

Et des sources sonores déferlent

Jaillissant du marbre brut.

Et dans les ruisseaux persistent

D'étranges reflets.

 

Ah, puissé-je aller là-bas,

Et y réjouir là-bas mon cœur,

Et puiser à toutes les sources,

Et être libre et bienheureux !

 

Ah, ce pays du bonheur

Je le vois souvent en rêve,

Mais le soleil du matin,

Le dissipe comme une vaine écume.

 

 

16.

Die alten bösen Lieder,

Die Träume bös' und arg,

Die laßt uns jetzt begraben,

Holt einen großen Sarg.

 

Hinein leg' ich gar manches,

Doch sag' ich noch nicht, was;

Der Sarg muß sein noch größer

Wie's Heidelberger Faß.

 

Und holt einen Totenbahre

Und Bretter fest und dick;

Auch muß sie sein noch länger,

Als wie zu Mainz die Brück'.

 

Und holt mir auch zwölf Riesen,

Die müssen noch stärker sein

Als wie der starke Christoph

Im Dom zu Köln am Rhein.

 

Die sollen den Sarg forttragen,

Und senken ins Meer hinab;

Denn solchem großen Sarge

Gebührt ein großes Grab.

 

Wißt ihr, warum der Sarg wohl

So groß und schwer mag sein?

Ich senkt auch meine Liebe

Und meinen Schmerz hinein.

 

 

[FR]

 

16.

Chants d’amour, tourments de mon âme,
Espoirs trompés, rêves en deuil,
La tombe est là qui vous réclame ;
– Que l’on m’apporte un grand cercueil !

 

Pour garder la relique sainte
Que j’y voudrais mettre à couvert,
Il faut qu’il ait plus vaste enceinte
Que le tombeau de Heidelberg.

 

En bois de forte résistance
Hâtez-vous de faire achever
Plus long que le pont de Mayence,
Un brancard pour le soulever.

 

Invitez à cette besogne
Douze Titans, frères d’airain
Du Saint-Christophe de Cologne,
Dans le grand dôme au bord du Rhin.

 

Ils descendront leur lourde charge
Dans la mer au gouffre béant :
Il faut une fosse aussi large
Pour couvrir le coffre géant.

 

Ce grand cercueil est nécessaire ;
Car, apprenez que sans retour.
Dans sa nuit profonde il enserre
Et ma souffrance et mon amour!

 

*Grâce à E. De Soomer

 

 

Partenaires

main partners

Klara, KPMG,  Nationale Loterij-meer dan spelen

 

festival & event partners

Belfius, Brouwerij Omer Vander Ghinste, Interparking, Proximus

 

public funding

BHG, Nationale Bank van België, Vlaamse Gemeenschap, Vlaamse Gemeenschapscommissie

 

cultural partners

AB, Bozar, Concertgebouw Brugge, DESINGEL, Flagey, Kaaitheater, Muntpunt, Passa Porta, Théatre Varia

 

official festival suppliers 

Café Costume, Café Victor, Casada, Daniel Ost, Fruit at Work, Greenmobility, Levi Party Rental, Piano’s Maene, Ray & Jules, Thon Hotels

 

media partners 

BRUZZ, BX1, Canvas, Clearchannel, Davidsfonds, De Standaard, Eén, La Libre, La Première, La Trois, MIVB, Musiq3, Radio 1,  Ring TV,  visit brussels