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Brooklyn Rider
/ Flagey, Studio 1

[sold-out] Brooklyn Rider

the 4 elements  

une combinaison d’éléments

entretien avec Nicholas Cords, violoniste au sein de Brooklyn Rider

 

 

On dirait que tous les programmes portés par Brooklyn Rider recèlent une trame narrative et une dramaturgie bien plus larges. En quoi est-ce important pour votre quatuor à cordes et comment le concept The Four Elements a-t-il vu le jour ?

 

Nicholas Cords : « Nous ne pouvions nous contenter de rassembler simplement quelques grands chefs-d’œuvre. Dans notre démarche, nous essayons toujours de marier l’ancien et le nouveau et de transmettre un récit ou un cadre à un public. Pour établir un programme, nous passons généralement par une séance de remue-méninges entre les musiciens du quatuor. L’idée des quatre éléments a germé à la fois en référence à la planète Terre et comme une métaphore de la conversation qu’engage le quatuor à cordes. Animés chacun d’une force qui leur est propre, quatre éléments particuliers parviennent, ensemble, à engendrer une grande variété de choses dans l’univers réel et musical. »

 

Comment êtes-vous parvenus à sélectionner quatre œuvres de musique de chambre emblématiques des cent dernières années pour symboliser la Terre, le Feu, l’Eau et l’Air ?

 

Nicholas Cords : « Pour nous, certaines œuvres incarnaient déjà symboliquement ces éléments. Le huitième quatuor à cordes de Chostakovitch, par exemple, a été composé après la Seconde Guerre mondiale, alors que le compositeur visitait la ville de Dresde, presque entièrement rasée par les bombardements. Profondément choqué, Chostakovitch a dédié son œuvre aux victimes de la guerre et du fascisme. Nous y avons vu un rapport logique avec le feu. On pourrait en dire autant d’Ainsi la nuit d’Henri Dutilleux, une œuvre quasi aérienne, du fait des moments suspendus entre les notes, mais c’est essentiellement une pièce sur l’esprit, sur la mémoire musicale. La répétition des motifs musicaux tout au long de la pièce évoque pour nous les schémas de pensée, le tissage d’expériences, toutes immatérielles, dont l’esprit est le siège. Tenebrae d’Osvaldo Golijov est une belle réflexion sur deux vécus très différents du compositeur. Après un voyage en Israël à une époque de grands troubles et de conflits, il rentre à New York et se rend au planétarium du Musée d’histoire naturelle. Là, il découvre les incroyables images de la planète Terre vue de l’espace. Une sensation de paix l’envahit. Dans ce morceau, il associe ces deux expériences diamétralement opposées : il focalise pour se propulser au cœur d’un conflit, avant de prendre de la hauteur pour être témoin de la beauté de l’infiniment grand. Bien sûr, quand on regarde depuis l’espace la planète Terre, on est frappé par les étendues d’eau, que la musique rend par des ondulations, des vagues sonores. On termine par l’élément Terre. Ruth Crawford Seeger était une grande compositrice de musique moderniste. Elle a aussi recueilli des chants traditionnels américains. C’était un peu la Bartók américaine. Notons que ces chansons folkloriques enregistrées sur le vif évoquaient surtout des animaux, qui pour nous représentent la Terre. Colin Jacobson, membre de notre quatuor, a réorchestré ces chansons dans une nouvelle composition musicale. »

 

Vous avez également commandé plusieurs nouvelles compositions inspirées par les quatre éléments. Faut-il y voir un appel à l’action, au vu de l’état préoccupant de notre planète ?

 

Nicholas Cords : « Nous avons ‘confié’ un élément à chaque compositeur, mais nous n’avons pas voulu être directifs. Notre seul souhait était d’ancrer d’une manière ou d’une autre la dialectique des quatre éléments dans le présent, peut-être en attirant l’attention sur un problème contemporain, ou simplement en admirant leur beauté et leur force destructrice. Ce projet n’a pas pour vocation de dire au public ce qu’il doit penser ou faire. Notre seul souci est de faire de la musique une expérience partagée. Libre à chacun d’en tirer des enseignements. » 

 

Dans le cadre du Klarafestival, vous interpréterez deux des quatre œuvres commandées : Hollow Flame d’Akshaya Tucker et Aere senza stelle d’Andreia Pinto Correia. Comment s’est déroulée la collaboration avec ces compositrices et comment ont-elles transposé le feu et l’air en musique ?

 

Nicholas Cords : « Akshaya Tucker est une compositrice vraiment intéressante. Nous l’avons choisie pour un tas de raisons, l’une étant que nous souhaitions mettre en avant des compositeurs de moins de 30 ans. Quand il est question de l’avenir de la planète, je pense qu’il faut vraiment donner la parole aux jeunes. Hollow Flame évoque la destruction causée par les récents incendies de forêt en Californie et sur la côte Ouest. Dans cette pièce, elle imagine les arbres inhaler le dioxyde de carbone et le rejeter dans l’atmosphère, en évoquant des difficultés respiratoires. Andreia Pinto Correia a composé une musique sur les tempêtes de sable qui naissent dans le Sahara et dont la fréquence et la gravité s’intensifient avec le dérèglement climatique. L’œuvre revisite le quatuor à cordes comme un nuage sonore, alternant tourbillons et pauses statiques. La tension flottant dans l’air pourrait presque l’embraser. C’est le calme avant la tempête. Nous avons joué la pièce pour la première fois au Vail Dance Festival, dans le Colorado ; Andreia est occupée à la réviser en profondeur. Akshaya nous a aussi fourni plusieurs versions de la partition et nous avons pu travailler en étroite collaboration avec elle sur l’œuvre. » 

 

Recherchez-vous le dialogue artistique avec le compositeur ?

 

Nicholas Cords : « Oui, sans doute. Notre quatuor à cordes aime être au plus près de la source de la créativité. Nous voulons entamer un dialogue, avoir l’impression que le compositeur devient un membre à part entière de notre quatuor à cordes, qui est comme une famille. Nous ne cherchons pas à lui dicter ce qu’il doit écrire. Nous préférons explorer des idées ensemble. Par rapport à l’orchestre, le quatuor à cordes est un format très portable et flexible. En choisissant le nom Brooklyn Rider, nous avons délibérément omis le terme ‘quatuor à cordes’, trop connoté d’après nous avec la notion d’inertie. Nous préférions un nom qui évoque l’ouverture et invite au dialogue. »

 

Propos recueillis par Lalina Goddard

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