rhapsody

La musicalité des esprits inspire

Anna Luyten en conversation avec Josse De Pauw

« Le doute est notre émotion la plus productive. Nous entretenons un rapport extrêmement ambigu avec lui, car nous souhaitons tellement être fermes, assurés et résolus. Mais je pense que c'est le doute qui nous fait avancer. Tout ce qui a un tant soit peu de valeur est né du doute. »

« Je regarde et j'écoute à nouveau Van de Schoonheid en de Troost (De la beauté et du réconfort), une série d'émissions télévisées captivantes, diffusée en 2000, composée de longs entretiens de Wim Kayzer avec des artistes et des scientifiques. Et elle me touche toujours autant. J'entends véritablement réfléchir ces personnes. Je ne dois pas être d'accord avec elles, ni les comprendre entièrement. La beauté de cette pensée à voix haute, de ces grands esprits qui tentent d'expliquer ce qui les occupe et ce qui les pousse suffit. C'est la volonté de communiquer qui me passionne. »

« L'anthropologue Jane Goodall est assise au sommet de sa montagne, regarde autour d'elle et exprime cette notion merveilleuse : “This is the world as it should be” – “Voici le monde tel qu'il doit être”. C'est mon point de départ et une rhapsodie s'y accorde parfaitement : cette forme musicale supporte la diversité et la volatilité. Je commence par Jane Goodall qui donnait des noms à ses chimpanzés plutôt que des numéros, et je termine par Edward Witten qui parle tendrement de sa théorie des cordes. Ce sera une rhapsodie d'individus pensants dont j'énonce les pensées. »

« “Je puise du réconfort dans l'apprentissage par cœur des paroles des autres”, affirme George Steiner, et je m'y retrouve : la satisfaction qu'on ressent quand on est capable de réciter un poème de Rilke sans devoir consulter le texte. Des vers stockés quelque part dans la tête, qui y mûrissent et auxquels on peut se référer quand on est en manque de mots. Steiner dit : “On n'aime que ce que l'on retient”. »
 

« L'auteur JM Coetzee laisse planer de longs silences quand il doute, son mutisme devient musical. Je comprends dans quel piège il se trouve pris : en interview il s'oblige à réfléchir lentement, tout en sachant qu'il n'en a pas le temps. L'intervieweur sait qu'il houspille l'autre, qui se dit à son tour qu'il est en train de faire perdre son temps à l'intervieweur. Une telle situation est un défi musical. »

« En scène, on peut créer de la musique qui évoque une atmosphère. Cela ne m'a jamais enthousiasmé. Mais ce que j'ai toujours aimé faire en compagnie des musiciens, c'est créer une musique dont on rapproche autant que possible les paroles. J'y suis parvenu avec des musiciens de jazz dans An Old Monk et a concert called landscape. Ils ont le savoir-faire et la disponibilité nécessaires pour improviser et ils en ont l'habitude. »

« J'ai collaboré avec le compositeur Frederik Neyrinck pour le spectacle Zolang hij niet zichzelve kent (S'il ne se connaît pas) avec Koenraad Tinel. J'ai été frappé par la vitesse à laquelle compose Frederik ; il sait comment assembler la musique, le texte et l'image. Il est généreux, dans le sens où rien n'est sacro-saint pour lui. C'est bien pourquoi j'ai osé lancer avec lui le dialogue à propos de cette pièce. Que se passerait-il si j'ai un texte que je veux dire d'une certaine façon, à intégrer dans la composition? Ou si je lis un texte sur une musique composée indépendamment ? »

« Au cours de l'adolescence, on a tous entendu un air à la radio qui s'accordait parfaitement à ce que nous ressentions à ce moment-là, et une phrase de la chanson a continué à nous trotter dans la tête. Des dizaines d'années plus tard, cette même phrase est toujours là, mais elle a un tout autre sens qu'à l'époque. Pour moi, ça continue : pour des phrases, des pièces de théâtre, des poèmes… »

« La musique a un lien avec les paroles, avec le sens. De temps en temps, les mots entravent le sens. Mais quand on rapproche de nouveau les paroles de la musique, le sens peut s'en extraire une nouvelle fois. Elles ont suffisamment d'espace pour résonner. »

« À présent, je veux mettre en musique – dans tous les sens du terme – ces passages de texte et paroles de ces grands esprits pensants et plongés dans le doute. Non pas y associer une atmosphère, mais leur donner une place dans une partition. Je sais qu'une clarté différente en découlera. »

« Je suis très attaché au timbre des voix, ainsi qu'aux tempos et à leurs changements. La musicalité des paroles joue un grand rôle dans la communication. Cela fait partie de ce que quelqu'un veut, peut ou pense être. Jane Goodall sait parfaitement imiter les sons que produisent les chimpanzés en plissant les lèvres d'une certaine façon. Parfois la musicalité est présente dans les gestes de quelqu'un. Prenons comme exemple Vladimir Ashkenazy. Il mange un sandwich, juché sur un praticable dans la salle de répétitions. Le chef d'orchestre et pianiste de concert mondialement célèbre tient une canette de bière à la main. Déjà rien qu'à sa façon d'être assis là, on perçoit son sentiment de déracinement. Ou le peintre Karel Appel qui reste attentif à ce qu'il ne connaît pas encore et affirme qu'une peinture s'achève elle-même. “On y est et on n'y est pas”, dit-il. “Mon travail est terminé, la toile ne l'est pas. Le spectateur doit l'achever en regardant.” Et alors je me dis : “Ça, je connais. Je peux l'exploiter.” »

Le comédien, auteur et metteur en scène Josse De Pauw (né en 1952) fait partie du noyau artistique du LOD muziektheater depuis 2004. Il a fait ses débuts en 1976 avec Radeis International, une troupe de théâtre très appréciée qui se produisait jusque 1984 dans toute l'Europe et sur d'autres continents. Il a participé à plus de cinquante films belges et étrangers et en a réalisé deux, Vinaya et Übung. Outre des textes dramatiques, il écrit des nouvelles, réflexions, notes et récits de voyage. 

Le compositeur et pianiste belge Frederik Neyrinck (né en 1985) a étudié le piano et la composition à Bruxelles, Stuttgart et Graz auprès de Piet Kuijken (piano) et Jan Van Landeghem, Marco Stroppa et Clemens Gadenstätter (composition).  Frederik Neyrinck est artiste en résidence au LOD depuis 2014. 

Asko|Schönberg : l'un des principaux ensembles de musique nouvelle. Qualité, expérimentation et programmation innovante avec un œil sur l'actualité sont leurs caractéristiques les plus importantes. La programmation équilibre la riche collection de compositeurs importants du XXe siècle avec les œuvres les plus récentes du XXIe siècle, en mettant fortement l'accent sur le travail des compositeurs actuels, qui sont tous deux joués dans divers lieux, festivals et performances interdisciplinaires.

LOD muziektheater est une maison de production gantoise pour l’opéra et le théâtre musical, un foyer créatif pour artistes. Pour mener à bien cette mission, LOD met d’une part sur pied des collaborations avec quelques- uns des créateurs les plus singuliers du théâtre musical d’aujourd’hui. Des compositeurs comme Kris Defoort, Daan Janssens, Thomas Smetryns, Bushra El-Turk, Jamie Man, Frederik Neyrinck et Nabou Claerhout et des metteurs en scène comme Josse De Pauw, Inne Goris, Gorges Ocloo et Lies Pauwels sont des valeurs sûres dans la pratique de LOD. Mais nos portes sont aussi grandes ouvertes à ceux qui croisent notre chemin, par surprise mais jamais par hasard. LOD vise une perspective artistique large et s’est fait connaître par la qualité élevée de ses productions