Sun & Sea
Sun & Sea
/ Théâtre Les Tanneurs

Sun & Sea - sold out

the award-winning opera performance

Sous le soleil et sous la plage, le changement climatique guette

La première belge de Sun & Sea, la performance-opéra au succès mondial, sera présentée lors du Klarafestival. Nous nous sommes entretenus avec les trois artistes à l'origine de Sun & Sea : la dramaturge Rugilė Barzdžiukaitė, l'écrivaine Vaiva Grainytė et la compositrice Lina Lapelytė.

Vaiva Grainytė, Lina Lapelytė et Rugilė Barzdžiukaitė, vous venez toutes les trois d'horizons très différents. Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Vaiva : Nous nous connaissons depuis l’adolescence. Nous sommes bien plus que des « collègues de travail », nous sommes aussi des amies proches. Nous avons toutes les trois grandi à Kaunas, la deuxième ville de Lituanie, et nous partageons donc une mémoire collective très similaire. Lina et moi faisions souvent de l'auto-stop et écumions les salles de concert underground. Quant à Rugile, je l’ai rencontrée à l’école de photographie. Cette amitié et cette mémoire commune sont incontestablement au cœur de notre pratique collaborative.    

Lina : Nous sommes aussi intellectuellement très proches. Nous avons une vision du monde assez semblable et les mêmes idées sur pas mal de choses, sur la vie…  

Rugilė : Une autre forme d’amitié est aussi née entre nous lorsque nous nous sommes lancées dans ce premier projet ensemble.  Cette aventure nous a permis de réaliser à quel point nous étions sur la même longueur d’onde sur le plan artistique.  

 

Sun & Sea n’est pas votre première collaboration. En 2010, vous aviez déjà créé ensemble Have a Good Day !, qui a également été un grand succès.

Lina : Have a Good Day ! Opéra pour 10 caissières, un supermarché et un piano nous a réunies sur le plan artistique. Cette performance-opéra d’un genre à part aborde la question du cycle de la vente et de l’achat, du consumérisme, du capitalisme.... La caissière du supermarché devient ici un personnage métaphorique qui symbolise chacun de nous. C’est pendant la tournée de Have a Good Day !, alors que nous étions concentrées sur nos pratiques respectives que l’idée de Sun & Sea nous est venue et a pris progressivement forme. Plus tard, nous nous sommes aperçues que ce nouvel opéra n’était en fait qu’une prolongation du thème de la société de consommation et de la voix collective, mais dans ce projet, nous avons poussé le sujet plus loin pour traiter de la « consommation de la planète » et de la joie que cela procure.  

 

Pour traiter du thème du changement climatique, vous avez choisi pour décor une plage artificielle et noire de monde. Pourquoi ?

Rugilė : En essayant d’imaginer une plage bondée où tout le monde s’exprime en chantant, notre première intuition a été d’établir un lien entre nos corps ­– fragiles et mortels – et la Terre, gigantesque corps céleste, tout aussi vulnérable. Le spectacle n’en est pas moins amusant et léger en apparence. Il suffit de prendre un peu de recul et d’observer les rituels à l’œuvre sur une plage pour s’apercevoir que les représentants de l’espèce humaine sont bien plus étranges que n’importe quelle créature marine ou du ciel. Ce spectacle est d’autant plus surréaliste que tous ces amateurs de plage et de soleil se parlent en chantant. Mais l’ironie de ce tableau permet en même temps d’aborder des thèmes difficiles. La compréhension s’en trouve facilitée.  

 

Sun & Sea a dû vous donner du fil à retordre. Quel a été, selon vous, le plus grand défi ?

Vaiva : Nous avons été prises d’un doute quand nous avons réalisé que nous allions devoir aborder la question de l’environnement au beau milieu d’une plage chantante. C’était un pari risqué car le changement climatique est un phénomène complexe et angoissant. Comment exprimer tout cela ?  Que devaient nous dire ces corps allongés au soleil, qu’allions-nous leur faire chanter ? Et qui sont-ils ? Comment ne pas tomber dans le piège de la prophétie mais envoyer un message efficace en faisant preuve de subtilité ?     

Lina : Nous voulions bien sûr monter un spectacle de qualité et rester fidèles à nos convictions. Mais le plus difficile a finalement été de garder la tête froide face à tous les aspects financiers et conceptuels et les impératifs de la production. De rester toujours sur la même longueur d’onde, en phase les unes avec les autres. 

 

Avez-vous trouvé facilement un langage commun ? 

Vaiva : Nous nous sommes retrouvées un peu dans la situation de colocataires qui partagent une même cuisine. Nous cuisinions ensemble tous les ingrédients du spectacle lors des séances de travail collectives. Mais nous nous retirions dans nos appartements quand le temps était venu de nous concentrer sur nos tâches et compétences spécifiques. Mais comme nous avons décidé de travailler aussi collectivement, en mode « colocation », il a fallu accepter des intrusions dans notre intimité, des « contrôles ». On s’est ainsi retrouvées « happées » par le processus de création ! 

Lina : Nous venons effectivement d'horizons très différents. Vaiva est écrivaine et poète ; elle a étudié la critique théâtrale. Rugile réalise des documentaires et a fait des études de dramaturgie. Quant à moi, je suis musicienne et performeuse, mais j’ai étudié la sculpture. Lorsque nous travaillons ensemble, nous définissons d’abord un cadre conceptuel. Ensuite, nous nous concentrons chacune sur des tâches bien spécifiques. Vaiva écrit le texte, je le mets en musique et Rugile s'occupe de tous les aspects visuels. Dans Sun & Sea, les interprètes ont eux aussi été associés au processus de création. Nous avons toutes participé au choix des interprètes, nous nous sommes imprégnées de leur personnalité, nous les avons écoutés.  

 

Vaiva Grainytė, on a assimilé votre travail à des « réflexions sur la vie quotidienne », « portées par le regard ironique d’un anthropologue ». Est-ce que l’on retrouve tout cela aussi dans le libretto de Sun & Sea que vous avez écrit ? 

Vaiva : Oui, tout à fait. Le thème même du changement climatique est véritablement angoissant ; il suscite désespoir et douleur. Nous avons eu beaucoup de mal à trouver le « ton » approprié pour l’opéra : il fallait éviter de nous inscrire dans le discours apocalyptique ambiant ou de succomber à la tentation de préconiser des solutions, ce qui aurait fait de Sun & Sea un opéra moralisateur. En revanche, en misant sur l’humour et l’ironie, nous faisons simplement souffler sur tout cela un petit vent de mélancolie. Le libretto de l’opéra est conçu comme une mosaïque d’histoires, de monologues intérieurs et de réflexions, chantés tantôt en solo, tantôt en chœur.  Ce méli-mélo de récits chantés peut sembler simpliste et futile en apparence : une dame qui se plaint des chiens qui font des crasses, un jeune végan qui raconte le rêve qu’il vient de faire où il visite un restaurant de fruits de mer. Mais au milieu de ce tumulte hypnotisant et de cet océan artificiel de chants, on perçoit la menace qui couve :  des méduses qui dansent avec des sacs en plastique, une eau aussi verte que la forêt, un vacancier arborant un maillot « made in China »… Autant de micro-récits qui, ensemble, renvoient aux plaisirs de la société de consommation et à notre inertie. Ils sont le résultat conjoint de notre travail de recherche, de nos propres expériences et des entretiens que nous avons eus avec les chanteurs. 

 

Rugilė Barzdžiukaitė, quelle approche dramaturgique avez-vous suivie ? Le fait que vous avez travaillé pour le cinéma a-t-il influencé la façon dont vous avez mis en scène ce spectacle vivant ?    

Rugilė : Avant de me lancer dans l’aventure Sun & Sea, j’avais réalisé Acid Forest, où des visiteurs d’une attraction touristique sont vus d’en haut par des oiseaux. La hiérarchie entre les espèces était alors inversée : vus du ciel, les humains apparaissent comme des créatures minuscules, des sortes de fourmis. C’est en partie de là qu’est venue l’idée de présenter une plage vue d’en haut, pour mettre en avant la nature superficielle d’une scène d’une grande richesse anthropologique, qui masque un drame écologique.   

 

Lina, dans vos compositions, vous appréhendez souvent le chant comme un événement collectif qui associe professionnels et amateurs. Avez-vous suivi cette même approche pour Sun & Sea ?

Lina : Ce qui m’intéresse, c’est la musique sculpturale. Je me limite rarement au son en soi, à sa seule esthétique. Travailler avec des personnes différentes, qui maîtrisent un peu ou beaucoup la musique nous apprend la tolérance, la patience et la lenteur, et j'aime qu'on me le rappelle. Pour ma dernière composition, Study of Slope, que je n’ai pas encore achevée, j'ai invité des gens qui n’ont absolument pas l’oreille musicale à entreprendre ensemble un voyage musical. Dans Sun & Sea, le matériau musical est né de l’observation attentive des personnes avec qui nous avons décidé de travailler. J’ai composé la plupart des arias en pensant à un chanteur spécifique.  L'aspect collectif de la création musicale et son écho au sein d’un groupe m’intéressent beaucoup. Une voix soliste qui se transforme en voix collective, en chœur, a un énorme pouvoir qui va bien au-delà de la musique.   

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