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Kris Verdonck / A Two Dogs Company, Annelies Van Parys & ICTUS
/ Théâtre Varia

[sold out] Kris Verdonck / A Two Dogs Company, Annelies Van Parys, ICTUS & Muziektheater Transparant

PREY

nous sommes tous des proies

interview avec Kris Verdonck et Annelies Van Parys

La première de la pièce belge PREY aura lieu le 25 mars 2023. Ce spectacle de théâtre musical dresse un constat effarant : nous sommes tous des proies. Dramaturge Lalina Goddard s'est entretenu avec le metteur en scène Kris Verdonck et la compositrice Annelies Van Parys au sujet de notre place dans la chaîne alimentaire, du rôle de l'art et (parce qu’il y a un lien) du théâtre nô japonais. 

 

Kris, il y a un fil conducteur dans les représentations que vous avez mises en scène ces dernières années. Je pense en particulier à In Void, qui traite de l’homme-machine, ou à Conversations at the end of the world, où l'humanité court droit à sa perte. PREY fait aussi table rase d'un monde anthropocentré.

Kris Verdonck : Oui, dit comme ça, cela fait plus de 20 ans que je fais la même chose (rires). Je décrirais plutôt cette démarche comme une quête de notre place sur la planète. Dans PREY, je me suis imprégné des idées de l'écoféministe australienne Val Plumwood. Selon elle, si nous ne sommes plus en mesure de prendre soin de la nature, c’est parce que nous n'en faisons plus partie. Quand on meurt, on met le corps dans un cercueil et on l’oublie. Or d'après Val Plumwood, l'aventure ne fait que commencer. On est grignoté par des petites bêtes. Nous faisons à nouveau partie du paysage, de la chaîne alimentaire.

C’est une expérience plutôt effrayante qui a conduit Val Plumwood à cette prise de conscience.

Kris : Oui. Un jour, Val Plumwood a été attaquée dans son canoë par l'un des plus grands prédateurs au monde, un crocodile d'eau douce. À trois reprises, il l'a fait tournoyer sous l’eau dans ce célèbre rouleau de la mort. A posteriori, elle a écrit qu'à cet instant précis, elle a enfin fait corps avec le monde. Plus les dents de l’animal s'enfonçaient dans sa chair, plus elle se sentait en communion avec la nature. Quand le crocodile a été abattu, elle s’est rebellée : « Qui suis-je pour refuser à ce crocodile sa pitance ? » 

Trouver l'aboutissement de la vie dans la mort : ce n’est pas très gai.

Kris : Val Plumwood voit du positif dans la mort. Ce n'est qu'alors qu’on fait un avec son environnement. On prend conscience de la finitude des choses. On se rend compte que nous ne sommes que de la chair qui sert à nourrir d’autres êtres. Ces dernières années, mes spectacles ont fait l'objet d'une critique intéressante : tout y était devenu si sombre que tout espoir était perdu. C'est vrai aussi, j'ai toujours très consciemment anéanti tout espoir. L'espoir est facile, l'espoir est une excuse pour ne pas affronter ce qui nous arrive. Nous espérons que tout va s'arranger, et pendant que nous espérons, nous restons les bras ballants. 

Je vous vois acquiescer de la tête, Annelies. Êtes-vous même avis ?

Annelies Van Parys : Oui, je me retrouve beaucoup dans ce que dit Kris. Je suis de près l'actualité climatique et politique depuis des années. Pour moi, il n'y a pas d'espoir. De toute façon, nous ne respectons pas les accords. Chaque problème est remplacé par un nouveau. On dit à chaque fois que le changement est en marche. Le Covid devait marquer un grand tournant. On allait soi-disant changer nos habitudes, mais on constate en fin de compte qu'on pollue encore plus la planète. Nous ne parviendrons pas à résoudre cette crise écologique.

L'art peut être un moyen d'appeler à l'action. Mais si tout espoir est perdu, l’art a-t-il pour vous encore un sens ?

Kris : Pour moi, il serait erroné de croire que l'art peut changer le monde. En revanche, ce que l'art, et plus particulièrement le théâtre, peut faire, c'est raconter des histoires. Une histoire peut mettre les choses en perspective, donner des idées, apporter du réconfort. Je crois que les récits peuvent en quelque sorte faire avancer la cause.

Annelies : Je suis totalement d'accord avec Kris. Il ne peut en aucun cas s'agir d’un art militant. Le militantisme veut secouer les consciences ; en tant qu'artiste, je préfère poser des questions ou donner des idées. Ce que l'art peut faire, c’est susciter l'empathie. On s’assimile à une histoire ou un personnage auquel on ne serait sans doute jamais identifié autrement. Je ne crois pas au changement immédiat, mais je pense qu'on peut amener les gens à poser un regard différent sur le monde. 

Quel message, quelle histoire voulez-vous transmettre avec PREY ?

Kris : L’Homme n’est pas la mesure de toute chose. Il est tantôt chasseur, tantôt proie, et cette vérité nous relie. Si nous en prenions conscience, peut-être serions-nous moins méprisants envers les autres habitants de notre Terre. Val Plumwood critique notre culture occidentale, qui met l’humain au centre de toute chose. Il était important pour nous de recourir à une forme narrative non classique pour ce spectacle. 

Et c'est ainsi que vous vous êtes retrouvé au théâtre nô ?

Kris : En effet. Le théâtre nô est un style rituel de théâtre japonais du XIVe siècle. Il adopte une forme de récit fascinante. En fait, la même histoire est racontée de trois points de vue différents : d'abord par le narrateur, ensuite à la première personne et enfin dans un rêve. Le personnage principal enlève son masque sous lequel apparaît un autre masque, monstrueux, qui représente un concept abstrait, comme la vengeance. À la fin, il n'y a pas de rédemption, une notion à laquelle l'art du récit occidental nous a habitués. Ce théâtre parle simplement des ressorts de la vengeance, sans dénouement ni résolution.

Annelies : Grâce à la Communauté flamande, j'ai pu faire une résidence de deux mois au Japon l'été dernier et j'ai pu étudier le théâtre nô. Dans les partitions, tout est noté dans le moindre détail. C'est assez bizarre, car tout semble au contraire très improvisé. Parfois, j'avais l'impression de débarquer dans une soirée free-jazz. C'était fascinant. J'ai fait tant de découvertes que je me suis dit qu'il fallait que j’en fasse quelque chose. 

Comment ces expériences ont-elles inspiré votre composition ?

Annelies : Le nohkan (la flûte nô japonaise) a un timbre particulier. Je trouve la dysrythmie des percussions très intéressante. Les percussions cherchent constamment une régularité sans jamais l'atteindre. Le nô recourt souvent à des tonalités fluctuantes, à des mélodies microtonales que je peux explorer à la guitare électrique et à l'alto. Mais que les choses soient claires, je refuse toute forme d'exotisme. J'y suis allée, j'ai entendu des choses très intéressantes, et j'essaie maintenant de les traduire dans mon univers acoustique. 

Kris : En effet, notre intention n'est pas d'imiter le nô, mais plutôt de le prendre en modèle. Si un maître nô venait au spectacle, j'espère qu'il n’y verrait pas la moindre allusion au nô. 

Avec vous, trois femmes entrent en scène : la comédienne Katelijne Damen, la chanteuse Anna Clare Hauf et la danseuse Mooni Van Tichel. 

Kris : Trois artistes fantastiques qui racontent consécutivement la même histoire en utilisant trois médias différents : les mots, la musique et la danse. J’ai hâte de travailler avec elles. Je connais Mooni depuis un certain temps. En pleine pandémie de coronavirus, elle a créé un solo très énergique, contre la dépression. Anna Clare Hauf est une chanteuse impressionnante, qui n'a pas peur de repousser les limites. Katelijne et moi étions impatients de travailler ensemble depuis longtemps. Et bien sûr, il y a Ictus, que je connais de longue date, mais avec qui je n'ai jamais eu l'occasion de travailler. C'est exaltant.

Annelies : Pour moi, c'est assez bizarre, du fait que ma carrière a commencé chez Ictus. Lors d'une master class avec eux en 2001, j'ai composé une œuvre qui a remporté le prix Flandre-Québec l'année suivante. Puis je suis partie. Ce sont des retrouvailles plus de 20 ans après

 

interview par Lalina Goddard, image © Stavros Petropoulos

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